Vous pouvez découvrir un entretien donné le 2 mars 2022 par Olivier Delamarche, homme d'affaires et économiste, à Livre Noir pour évoquer la guerre économique qui vient...
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Vous pouvez découvrir un entretien donné le 2 mars 2022 par Olivier Delamarche, homme d'affaires et économiste, à Livre Noir pour évoquer la guerre économique qui vient...
Le 1er mars 2021, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, Olivier de Maison Rouge pour évoquer la guerre économique que mène contre nous l'"allié américain". Avocat, Olivier de Maison Rouge est spécialiste des questions juridiques liées à l'intelligence économique et au secret des affaires. Il a publié deux ouvrages sur le sujet, Penser la guerre économique (VA éditions, 2018) et, récemment, Survivre à la guerre économique (VA éditions, 2020).
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen, cueilli sur Geopragma et consacré à la question cruciale de l'extraterritorialité du droit américain. Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.
Extraterritorialité du droit américain : que doit faire l’Europe ?
Alors que l’administration Biden s’installe au pouvoir aux Etats-Unis, un sujet stratégique revient au centre des relations transatlantiques : l’extraterritorialité du droit américain et de fait, son illégitimité.
Ironiquement, cette histoire commence en 1977, lorsque le Congrès vote la loi du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) pour combattre et sanctionner les pratiques frauduleuses de certaines sociétés américaines dans l’attribution de marchés ou contrats internationaux. Depuis, cette loi a évolué pour définir des standards internationaux en conférant aux USA la possibilité de définir des normes applicables à des personnes, physiques ou morales, non américaines, sur leur propre territoire. Cette pratique a été enrichie au fil du temps par les lois Helms-Burton et D’Amato-Kennedy ou encore l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR).
Celles-ci permettent aux autorités américaines, notamment le Department of Justice (DOJ) et la Securities and Exchange Commission (SEC), de sanctionner des entreprises ayant commis, véritablement ou non, des faits de corruption internationale pouvant se rattacher au pouvoir juridictionnel des Etats-Unis. Le lien peut être une cotation de l’entreprise sur les places boursières new-yorkaises du NYSE ou du NASDAQ, le transit d’emails ou de données via des serveurs situés aux USA, ou même un simple paiement en dollars direct ou même par effet de change subreptice au cours d’un transfert de fonds.
Chacun mesure bien aujourd’hui que l’extraterritorialité est un outil juridique mais surtout géopolitique, diplomatique et économique sans commune mesure, dont seuls les Américains sont détenteurs jusqu’à présent, en l’utilisant à des fins purement hégémoniques et d’interdiction d’accès à certains marchés, l’imposition de l’extraterritorialité du droit américain jouant ici le rôle d’un redoutable avantage concurrentiel. Car ils possèdent aussi une arme redoutable au travers du dollar : à l’échelle planétaire, la moitié des échanges commerciaux se font en USD, 85% du change de devises inclue le dollar, 75% des billets de 100 dollars en circulation le sont hors des Etats-Unis, et le dollar représente toujours 60% des réserves de devises des banques centrales ; à noter que l’euro se positionne fortement en deuxième place avec 20% de ces réserves (source : FMI).
Les Etats-Unis décident unilatéralement et en toute impunité d’interdire aux autres Etats ou personnes, quels qu’ils soient de commercer avec un Etat tiers, comme c’est le cas avec l’Iran aujourd’hui et comme ce fut le cas pour Cuba en 1996. Avec potentiellement de lourdes amendes et l’exclusion du marché américain à la clé. Ces lois ont permis aux Etats-Unis de sanctionner abusivement plusieurs entreprises européennes : Siemens, Technip, Alstom, Daimler, ou encore BNP Paribas et son amende record de 8,9 milliards de dollars en 2015. En 2018, Sanofi a été contrainte de régler une amende de plus de 20 millions de dollars au titre du FCPA. Dernière affaire en date, Airbus a été sommé de payer une amende de 3,6 milliards de dollars en 2020.
Ces mesures prises par les Etats-Unis sont évidemment contestables au regard du droit international parce qu’elles étendent la juridiction de leurs lois à tout autre pays. C’est en fait de l’abus de position dominante, l’importance du marché américain permettant à Washington de faire du chantage politico-économique. Pour revenir à l’exemple iranien, les sanctions affectent directement la souveraineté de tous les Etats tiers. Y compris des entités supranationales comme l’Union européenne, contraintes de respecter des sanctions qu’elles n’ont pas décidées et qui sont le plus souvent contraires à leurs intérêts. Le retrait capitalistique et opérationnel de Total des champs gaziers de South-Pars au profit des Chinois en est le plus parfait exemple.
A cet effet et en réaction à la réimposition des sanctions américaines sur l’Iran, l’Union européenne a lancé un mécanisme de paiement par compensation dit “INSTEX”. Ce montage financier isolerait tout lien avec le système monétaire américain, de manière à n’exposer aucune transaction aux sanctions américaines. En théorie, il pourrait à terme permettre aux entreprises européennes de poursuivre librement des échanges commerciaux avec l’Iran. Cependant, en pratique, il semble aujourd’hui sans grande portée, n’ayant été utilisé que très rarement et pour des opérations de troc. Afin de préserver leur rôle dans le commerce international, les entreprises européennes ont jusqu’à maintenant préféré se conformer aux sanctions américaines. Et elles redoutent aussi un désintérêt des investisseurs américains ou étrangers qui peuvent constituer une part importante de leur actionnariat.
Par contraste, les lois européennes n’opèrent des blocages visant des sociétés américaines que dans le cadre d’opérations de fusions ou d’acquisitions qui ont une influence directe sur le marché européen et sur la concurrence européenne. Ce fut le cas en 2001 entre General Electric et Honeywell. Lorsque des décisions sont rendues, elles le sont au même titre qu’à l’encontre des entreprises européennes, sans traitement différencié. Et elles ne prévoient pas de sanctions. L’effet en est donc limité, proportionné et conforme au droit international.
Sur ce sujet aussi, l’Europe doit arrêter de se laisser faire, cesser d’être la vassale des Etats-Unis et opérer un grand sursaut. Elle a plusieurs options pour le faire.
Elle peut mettre en place un arsenal juridique équivalent – un OFAC européen – qui sanctionnerait les personnes morales ou physiques américaines, et protègerait les sociétés et personnes physiques européennes d’amendes ou de sanctions extraterritoriales d’outre-Atlantique.
Elle doit utiliser pleinement le RGPD qui protège les données de personnes morales ou physiques européennes en déjouant ainsi l’extraterritorialité des lois US, et contrecarrer les lois « Cloud Act I et II » adoptées par le Congrès qui permettent l’accès aux données des utilisateurs européens via des sociétés américaines, notamment dans le secteur numérique. Compte tenu des parts de marché écrasantes des GAFAM, et de l’importance croissante des données visées par les lois américaines, ceci est nécessaire et frappé au coin du bon sens.
Enfin, l’Europe et les groupes européens doivent mettre la pression dans le cadre de leurs échanges commerciaux en exigeant le règlement des contrats en euros et non plus en dollars.
Ce n’est donc plus une question de « pouvoir faire », mais de volonté et d’urgence, bref de « devoir faire ». L’Europe doit s’armer et démontrer sa souveraineté, en prenant notamment au pied de la lettre l’intention déclarée du 46ème président des Etats-Unis de renouer avec une politique étrangère multilatérale et équilibrée avec ses alliés transatlantiques. Si ce ne sont pas là que des déclarations d’intentions lénifiantes, alors nous pouvons légitimement invoquer la réciprocité comme première marque de respect.
Christopher Coonen (Geopragma, 22 février 2021)
Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Frédéric Pierucci à Thinkerview, consacré au scandale de la vente de la société Alstom et à la guerre économique que nous mène les Etats-Unis... Protagoniste de l'affaire, Frédéric Pierucci est l'auteur d'un témoignage intitulé Le piège américain (Jean-Claude Lattès, 2019).
Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Arnaud Montebourg à Thinkerview, consacré à la politique industrielle française (ou à son absence...) et à la guerre économique que nous mène les Etats-Unis... Ancien ministre et responsable socialiste, Arnaud Montebourg est un défenseur du patriotisme économique et de la démondialisation.
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la défense économique. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire.
J.-P. Duranthon : Pas de « défense économique » sans « attaque économique »
De façon assez discrète, le gouvernement réorganise ses services chargés d’œuvrer de manière non militaire à la défense du pays. Après les différentes structures de renseignement c’est au tour des structures économiques d’être repositionnées. Alors qu’une rivalité entre les services d’intelligence économique de Bercy et de Matignon (auquel le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale – SGDSN – est rattaché) créait depuis longtemps des tensions néfastes, une clarification des rôles de chacun est intervenue récemment. Le schéma retenu, si l’on en croit la presse, pour coordonner l’action de tous les intervenants n’est pas vraiment caractérisé par une grande simplicité : c’est le service de sécurité économique (SISSE) du ministère des Finances qui coordonne le dispositif, donc l’action du comité de liaison entre les ministères concernés par les dossiers traités par le Conseil national de défense (le « COLISE ») ainsi que le volet économique de l’action des différents services de renseignement ; mais, pour mener à bien cette mission, le SISSE agit sous la présidence du directeur du SGDSN. Il faut donc faire preuve d’optimisme pour imaginer que l’enchevêtrement des compétences respectives des différentes entités concernées sera toujours harmonieux. Mais cette volonté d’organiser l’action des différentes structures doit être saluée, de même que le choix du vocable utilisé : il y a peu, parler d’ « intelligence » (au sens anglo-saxon du terme, celui de « renseignement ») économique était jugé provocateur dans certains milieux, assumer aujourd’hui la nécessité d’une « défense économique » montre que le réalisme fait parfois des progrès.
De cette initiative peut être rapprochée la publication, le 26 juin, du rapport élaboré, à la demande du Premier Ministre, par le député Raphaël Gauvain, dont le titre est à lui seul révélateur d’un nouvel état d’esprit (« Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ») et dont certaines affirmations témoignent d’une volonté de ne pas se voiler la face : « Les Etats-Unis ont entraîné le monde dans l’ère du protectionnisme judiciaire… Les entreprises françaises ne disposent pas aujourd’hui des outils juridiques efficaces pour se défendre contre les actions judiciaires extraterritoriales engagées à leur encontre… Les actions engagées (par les Etats-Unis) semblent motivées économiquement et les cibles choisies à dessein ». Même si, sur le fond, il n’y a là rien de nouveau, l’affirmer de manière aussi claire et quasi-officielle est loin d’être neutre.
Réjouissons-nous donc de ces évolutions. Reste à savoir quelles en seront les conséquences pratiques. Car poser les problèmes et mieux se coordonner pour les traiter ne sont que des préalables à l’action. A cet égard quatre principales questions se posent.
La première interrogation porte sur ce que l’on veut protéger. La volonté de Bercy est surtout d’éviter que des entreprises françaises qui constituent un enjeu technologique, industriel ou économique passent sous le contrôle d’entreprises étrangères, une attention particulière étant portée aux PME et aux start-up, nécessairement plus fragiles et qui ont régulièrement besoin de ressources supplémentaires qu’elles peinent souvent à trouver en France, où les investisseurs n’aiment pas beaucoup le risque et sont découragés à l’aimer. Mais de quelles entreprises parle-t-on ? Celles dont le siège social, ou le principal centre de recherche, est implanté en France ? Celles dont la majorité des actionnaires, ou ceux qui contrôlent ses instances dirigeantes (quand ils existent), sont français ? Celles dont le gouvernement a considéré qu’elles interviennent dans un secteur jugé par lui stratégique, ou qu’elles sont indispensables à l’équilibre du tissu industriel local ? Celles qui ont en France la plus grande part de leur chiffre d’affaires ou de leur effectif, ou le syndicat le plus remuant, etc. ? Ou bien, plus simplement, une entreprise a-t-elle autant de nationalités que d’implantations, auquel cas le concept est vidé de son sens et l’on n’a guère avancé pour définir les enjeux de la défense économique ?
Une autre approche pour répondre à cette première interrogation consiste à prendre en compte les menaces que recèlent les nouvelles technologies, en particulier les technologies numériques : Thierry Breton, le PDG d’Atos, estime qu’après avoir réussi à maîtriser les trois espaces territorial, maritime et aérien, les hommes doivent aujourd’hui apprendre à dominer l’ « espace informationnel », pour éviter de passer sous la domination d’entreprises ou d’Etats qui utiliseraient les données qu’elles recueillent pour remettre en cause la souveraineté de tiers ; il plaide donc — c’est bien sûr son intérêt mais cela ne disqualifie pas pour autant son propos — pour la constitution dans ce domaine de champions mondiaux et pour un soutien accru à l’intelligence artificielle, seule capable d’exploiter des quantités énormes de données. L’image des quatre espaces est belle mais la problématique n’est-elle pas plus large ? Doit-on protéger le potentiel économique d’un pays ou les conditions qui permettent à ce pays d’acquérir ce potentiel, d’en profiter et de le développer ? Auquel cas il est difficile de donner des limites à ce qui relève de la seule « économie » : la « défense économique » n’est jamais qu’un aspect de la défense tout court.
La deuxième interrogation concerne le fait de savoir contre quoi, ou qui, l’on doit se « défendre ». Le problème ici vient de ce que les alliances militaires ne recouvrent pas nécessairement les communautés d’intérêt économique, ce qui vient en contradiction avec la conclusion du point précédent. Même s’il faudrait être bien naïf pour s’imaginer que les alliances militaires sont fondées sur le précepte cher aux mousquetaires de d’Artagnan et que les Etats y oublient leurs intérêts pour ne penser qu’au bien du groupe, les porosités sont plus fortes dans le domaine économique, qui est de plus régi par des horizons temporels différents de ceux des alliances militaires. Les entreprises, plus que les Etats, ignorent les frontières. Si la ligne Maginot s’est révélée être une illusion militaire, les murs sont encore plus facilement contournables dans le domaine économique ; seuls les financiers font semblant de croire aux chinese walls.
L’efficacité économique d’un pays repose aujourd’hui sur une conjonction de grosses entreprises qui sont les leaders de leur secteur d’activité et de start up agiles : les premières doivent avoir une taille mondiale, ce qui passe nécessairement par des alliances, de formes diverses, avec des entreprises étrangères, alliances qui les obligent à concilier les intérêts de plusieurs nations, voire à acquérir une double ou triple nationalité, comme Renault-Nissan et Air-France-KLM se relaient pour nous le rappeler ; les secondes doivent pouvoir séduire chercheurs, innovateurs et investisseurs là où ils se trouvent et pas seulement dans leur pays d’origine, à supposer que celui-ci ait pu les conserver. Seuls les pays-continents peuvent envisager de se développer de manière à peu près autonome mais les nouvelles Routes de la Soie montrent que vient un temps où cela ne suffit plus et où il faut sortir de ses frontières. Dans ces conditions, il n’est pas facile d’agir autrement qu’au cas par cas et de définir a priori une stratégie, ce qui serait pourtant nécessaire pour être efficace. Ne poussons pas, toutefois, le raisonnement trop loin : certains pays et certaines entreprises ont une stratégie de conquête quasiment affichée et leurs projets nécessitent d’être examinés sans qu’il soit nécessaire de tergiverser longtemps.
La troisième interrogation concerne les moyens pouvant être utilisés au titre de la défense économique. Certains relèvent de problématiques juridiques, la puissance publique devant autoriser, ou pouvant s’opposer, à la prise de contrôle d’une entreprise française par une entreprise étrangère : le « décret Montebourg » de 2014, qui renforce un texte de 2005, en est un exemple. Le problème est que ces dispositifs, s’ils traitent de manière indifférenciée toutes les entreprises étrangères, peuvent entrer en conflit avec des directives européennes (voir les débats relatifs aux golden shares), voire avec les normes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’autres moyens d’intervention supposent l’existence de ressources publiques pouvant être investies dans l’entreprise qui demande à être défendue ou qui veut financer un programme de recherche ou de développement stratégique (les aides à la production étant prohibées, sauf exceptions) : la France s’est, avec la Banque Publique d’Investissement (BPI) d’une part, les programmes d’investissement d’avenir (PIA) financés par des emprunts comptabilisés de manière spécifique, d’autre part, dotée d’outils financiers adéquats mais ceux-ci font pâle figure par rapport aux fonds d’investissement des grands pays, ou de pays qui, tels les pays pétroliers – y compris la Norvège -, ont accumulé des réserves financières importantes. La nationalisation peut constituer une arme de défense ultime mais elle ne saurait être plus qu’une situation d’attente donnant le temps de trouver une solution plus durable.
Mais la problématique traditionnelle atteint vite ses limites. En premier lieu, une entreprise a peu de chance de se développer dans un pays qui s’affaiblit et dont la situation économique se dégrade : les entreprises dont l’essor est constaté sur les seuls marchés étrangers quittent rapidement leur pays d’origine pour transférer leurs actifs stratégiques dans la région où leur chiffre d’affaires est le plus important et où elles trouvent le plus facilement les financements qui leur sont nécessaires. La défense économique d’un pays passe d’abord par la prospérité économique de ce pays. En second lieu, les moyens d’intervention traditionnels sont impuissants devant certaines méthodes ou technologies nouvelles : d’une part, l’importance des technologies numériques et les pouvoirs qu’elles confèrent aux entités qui les maîtrisent donnent à celles-ci une puissance qui contourne les pouvoirs juridiques et financiers ; d’autre part, l’extraterritorialité du droit américain, à laquelle personne n’a, jusqu’ici, trouvé la possibilité de s’opposer, l’Iran n’est plus payé pour le savoir, fait voler en éclat les règles du jeu traditionnelles et crée de fait une dépendance qu’aucun traité, aucune norme ne prévoit mais devant laquelle les outils traditionnels de la défense économique sont impuissants.
Reste la dernière interrogation, classique désormais, celle consistant à savoir quelle est la bonne échelle géopolitique pour mener cette politique : nationale ou européenne. Ceux qui réfléchissent à ces sujets considèrent très généralement que rien d’efficace ne peut être fait autrement qu’au niveau européen, mais les faits sont parfois têtus, comme l’a par exemple montré la nationalisation, à l’été 2018, des chantiers navals de STX pour éviter qu’ils ne passent sous le contrôle absolu de Fincantieri, l’Italie pouvant pourtant difficilement être accusée d’impérialisme planétaire. Le réalisme oblige à reconnaître qu’à part le Royaume Uni – mais celui-ci veut encore croire qu’il n’est pas qu’européen – les autres pays européens ne raisonnent pas en termes de défense économique et, s’ils défendent bien sûr leurs intérêts économiques nationaux, considèrent que cette défense n’est pas antinomique avec une prise de contrôle étrangère. La Commission, pour sa part, estime que le concept de défense économique est trop proche de celui, honni, de politique industrielle et ne saurait agir autrement qu’au nom de la concurrence ou de l’urgence climatique. Le gouvernement français a pour ambition de faire partager ses analyses et ses dispositifs juridiques par ses partenaires, espérons que cette ambition sera couronnée de succès.
Il y a par conséquent encore beaucoup de travail à faire pour que les responsables de la défense économique aient à leur disposition une doctrine et des moyens d’action efficaces. Mais n’oublions pas que, comme l’affirment les Clauzewitz des cafés du commerce, « la meilleure défense, c’est l’attaque » : la façon la plus efficace de préserver et de pérenniser le potentiel économique d’un pays, c’est de faire en sorte qu’il dispose d’entreprises performantes, capables d’affronter la concurrence internationale, d’investir dans les technologies d’avenir et de conquérir des marchés à l’export. Le rôle de l’Etat est de le leur permettre, et aussi, parfois, de passer lui-même à l’attaque, ainsi qu’il lui est arrivé de le faire, par exemple lorsqu’il a fait condamner en 1999 par l’OMC le dispositif américain du Foreign Sales Corporation (FSC). Ne nous contentons pas de la seule défense économique.
Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 8 juillet 2019)